Enfouissement et
scellage du kvevri au mortier de chaux
&
Nettoyage interne des
Kvevri
En viniculture géorgienne, l'entretien des kvevri a toujours
été aussi important que la production même du vin dans ces jarres. On portait
une attention particulière au nettoyage et aux conditions sanitaires parfaites
des kvevri, ce qui a donné naissance à un métier particulier : « Laveur de kvevri
». Un kvevri bien entretenu est une condition préalable importante pour la
production d'un vin de qualité. Cependant, à part l'entretien d'hygiène, une
autre préparation préliminaire du kvevri s'impose avant qu'il ne soit enfoui
dans le sol. Il s'agit du scellage de la surface extérieure de ce dernier avec
un mortier de chaux ainsi que du revêtement des parois intérieures avec de la
cire d'abeille fondue.
Parlons tout d'abord de l'enfouissement et du scellage du kvevri
avec le mortier de chaux. Aujourd'hui, comme dans un passé récent, on utilise
un mortier de ciment au lieu de chaux pour plâtrer les kvevri. Ceci est loin
d'être recommandé, car bien que le ciment soit résistant, sa durabilité est
relativement est relativement inférieur celle de la chaux, surtout lorsque le
kvevri est enterré dans un sol très humide. Si le mortier de chaux peut
demeurer bien ancré sur le kvevri pendant des siècles, celui de ciment est
limité à une vingtaine d’années, après quoi il commence à se décomposer.
Contrairement à la chaux, le ciment a également tendance à sentir le remugle en
milieu humide, ce qui affecte la qualité de vin. Quant à la chaux, elle se
distingue non seulement par sa résistance à la moisissure, mais aussi par son
action antiseptique. En fait, les kvevris peuvent également être enterrés sans
mortier, mais la présence de mortier de chaux les rend plus résistants et
améliore le processus de vinification.
Enfouissement des kvevris
Dans son ouvrage « La viticulture et l'œnologie dans la
Géorgie Antique, Ouvrage fondé sur le matériel archéologique. Tbilissi, 1963 »,
l'archéologue géorgien A. Bokhotchadze écrivait : « Les kvevri datant du
Moyen Age, trouvés lors de l'excavation de marani (chai), portent jusqu'à nos
jours des signes de scellage à la chaux. Pour sceller les kvevri, on utilisait
un coulis de chaux, de sable et d'eau (1 kg de chaux, 2 kg de sable), du
gravier ainsi que du grès, parfois des fragments d'autres kvevri et d'autre
vaisselle en argile. Apparemment, l'enfouissement des kvevri avec le mortier
avait lieu localement, dans la terre. Dans de tels cas, on creusait une fosse
pour un kvevri dans le chai ; on plaçait sur le fond de cette dernière
une pierre plate pour loger le socle ou talon du kvevri; puis on posait des
pierres autour du kvevri et on l'enduisait de mortier de chaux. Le scellage de kvevri
se faisait au fur et à mesure. Une fois les murs comblés de mortier, on
commençait le revêtement du deuxième rang de pierres et ainsi de suite. Le
mortier, dont l'épaisseur est de 10 à 25 centimètres, est d'une si bonne tenue
qu'il est impossible d'en libérer le kvevri. Le poids d'un kvevri pouvant
atteindre plusieurs tonnes, son déplacement est pratiquement impossible et,
dans la plupart des cas, les essais finissent par leur casse. C'est pourquoi
les kvevri enfouis et scellés dans un endroit y restent d'habitude pour
toujours, même quand le chai doit être déplacé et aménagé ailleurs ».
Enfouissement des kvevris
Passons maintenant à la pratique du lavage des kvevri. Comme
nous l'avons déjà noté plus haut, la qualité du vin dépend beaucoup de la
propreté du kvevri. Il est à noter que la conservation de vin dans un kvevri
non-scellé ou non-cire ne risque pas d'altérer la qualité du vin, alors qu'une
erreur commise pendant le nettoyage de ce dernier peut entraîner des
conséquences irrémédiables et finir par la dégradation des caractéristiques
gustatives du vin.
Le nettoyage des kvevri était toujours un sujet d'actualité
important en Géorgie. Voici un extrait intéressant du journal Méourné (Le
fermier) publié en 1888, qui décrit les techniques de lavage des kvevri : «
Nous savons que le marc, la lie, la moisissure et d'autres substances sales
adhèrent aux parois intérieures du kvevri. Avant de commencer le lavage de ce
dernier à l'eau, je conseillerai d'abord d'enlever toute la crasse déposée.
Puis, dans une auge en bois ou un grand tonneau, de verser de la chaux
récemment brûlée et d'ajouter de l'eau. Le jour suivant, quand la chaux s'est
déposée au fond de la jarre, d'asperger de l'eau claire sur les parois
intérieures de kvevri. Le lait de chaux détruira la crasse. Ensuite, d'évacuer
du kvevri cette eau chargée de salissures et d'y verser de l'eau bouillante.
Puis de fermer le kvevri avec un couvercle : la vapeur amollira parfaitement
les particules de marc et de lie séchées. Par la suite, le kvevri pourra être
facilement lave ».
Ce petit passage montre bien l'importance que l'auteur porte
à la propreté de kvevri. Les expressions caractérisant le vin, tel que « le
goût de kvevri », « l'arrière-goût de récipient » et « le vin avec un
arrière-goût », nous fait penser que nos ancêtres étaient capables de
reconnaître le goût du vin qui était fermenté dans un kvevri mal lavé. Surtout,
et ce qui est important, ils pouvaient clairement distinguer ce goût spécifique
de celui qui provenait d'autres maladies ou de défauts du vin. Si le kvevri est
correctement nettoyé (ce qui semble être plus problématique aujourd'hui
qu'avant), le vin n'a aucun « arrière-goût », ni autre goût ou odeur,
à condition que le vin lui-même soit intact et sain.
Il est assez commun qu'un mauvais lavage du kvevri entraine
des conséquences irréparables. Si, par exemple, le vin de l'année précédente
est défectueux ou véhicule une maladie causée essentiellement par le
non-respect des normes d'hygiène, dans bien des cas, cela peut avoir une
retombée négative sur les productions des années suivantes également. Ainsi,
une seule erreur causera maints dégâts au vigneron.
Comme nous l'avons vu dans cet exemple, le lait de chaux est
un des meilleurs agents pour laver les kvevri. Le lait de chaux est
principalement constitué de chaux éteinte et d'eau. Bien qu'il n'y ait aucun
dosage clairement fixé pour la préparation du lait de chaux destiné au lavage
des kvevri, les pratiques actuelles nous permettent d'estimer que les meilleures
proportions de mélange de chaux et d'eau sont de 10 à 15 litres d'eau pour 3 à
5 kg de chaux. Une fois la chaux éteinte bien diluée dans l'eau (après 2 ou 3
heures au moins), le lait de chaux et les particules de chaux non décomposées
restant au fond de la jarre doivent être séparés. C'est alors que le lait de
chaux est prêt à l'usage.
Il est évident que le lavage des kvevri de grande taille
nécessite plus de lait de chaux. Ce dernier doit être étendu sur toute la
surface intérieure du kvevri, après quoi on le brosse à fond avec un Sartskhi
(une brosse à kvevri en racines de Millepertuis) ou avec une brosse en
genièvre. Le kvevri doit ensuite être rincé deux ou trois fois à l'eau froide
puis à l'eau chaude (environ 60° C) jusqu'à ce qu'il soit parfaitement propre.
Les opérations de prélavage de kvevri sont également très importantes, car la
durée de son lavage en dépend. A la fin, le kvevri doit être rincé à l'eau
tiède ou froide. L'eau résiduelle du dernier rinçage doit être bien propre,
sans aucun goût ni odeur. Ce n'est qu'alors que le kvevri est considéré comme
correctement lave et prêt à utiliser.
Sartshki - brosse à kvevri en écorce de cerisier
Dans la pratique du lavage de kvevri, on utilisait également
de la cendre ou une solution d'eau additionnée de cendre (autrefois connue sous
le nom de Natsarcmendili (eau alcaline) au lieu de la chaux, qui était
aussi efficace que cette dernière. La chaux ainsi que la cendre sont des
produits naturels et donc des nettoyants non nuisibles, sans aucun danger par rapport
à la soude (surtout à la soude caustique) ou autres agents chimiques, qui
peuvent endommager les parois de kvevri.
Les kvevri peuvent aussi être laves à l'eau froide ou
chaude, sans aucun agent de nettoyage. Cependant, le lavage à l'eau alcaline ou
au lait de chaux est plus efficace.
Sartshki - brosses à kvevri en écorce de cerisier
En général, le nettoyage des kvevri est un travail très
laborieux, surtout pour ceux de grande taille. Pour effectuer ce travail, le
laveur de kvevri descend dans la jarre. Pour qu'il se trouve en équilibre en
position debout à l'intérieur, on y introduit préalablement au fond une ou deux
bottes de sarments secs. Rappelons, que le kvevri doit être lavé uniquement
avec de l'eau potable fraiche. Sur les parois intérieures des kvevri de très
grandes contenances (par exemple, ceux d'une contenance de 5 000 à 7 000
litres) le fabricant de kvevri ajoute une sorte de « marches » en argile, des
deux côtés, pour que le laveur puisse descendre dans le kvevri et en remonter
plus facilement. Ces « marches » servent aussi de supports pour une
planche, sur laquelle le laveur de kvevri pourra se mettre debout ou s'asseoir.
De la lie et des cristaux de tartre peuvent se loger en
profondeur dans les parois poreuses du kvevri. Leur détartrage exige un travail
laborieux assez délicat. Il est à noter que, lors de lavage, la difficulté
principale ne consiste pas dans l'élimination de la couche supérieure de la
crasse collée, qui se voit facilement sur les parois intérieures du kvevri,
mais plutôt dans celle des dépôts incrustés au fond des pores des murs du kvevri.
C'est la principale difficulté pouvant engendrer une altération sensible de la
qualité du vin. Même si l'élimination de cette crasse était effectuée
uniquement au moyen d'eau chaude ou froide, nos ancêtres ont cependant trouvé
une solution assez efficace pour remédier à ce problème, en utilisant le lait
de chaux et la cendre.
Nous avons déjà discuté de la méthode de lavage des kvevri
au lait de chaux. Examinons maintenant celle de l'application de cendres qui,
comme nous l'avons déjà noté, se révèle une technique très efficace sans effets
négatifs sur le kvevri ou la qualité de vin. En fait, tout dépôt vineux
résiduel dans le kvevri (tels que de la crème de tartre, des colorants, de la
lie) est un agent acide, alors que la cendre est un alcali faible. L'eau
alcaline permet donc la dissolution de tels résidus.
Pour préparer l'eau alcaline, la cendre tamisée doit être
versée dans l'eau, bien mélangée, puis bouillie. Le sédiment de cendre doit
ensuite être séparé de l'eau alcaline en suspension, celui-ci étant destiné au
lavage du kvevri. L'eau alcaline était autrefois aussi utilisée pour se laver
les mains, le visage et la tête, ainsi que pour nettoyer la vaisselle et
d'autres ustensiles de cuisine.
Pour préparer l'eau alcaline, il faut mélanger 1 à 1,5 kg de
cendre fine tamisée avec 3 à 5 litres d'eau. L'eau alcaline peut aussi être
préparée à base d'eau bouillante.
Avant d'utiliser du lait de chaux ou de l'eau alcaline, le kvevri
doit être rincé à l'eau. Il doit ensuite être lavé d'abord à l'eau froide, puis
à l'eau chaude. Enfin, on procède au dernier rinçage avec de l'eau froide ou
tiède. La cendre peut s'appliquer aussi bien sous forme alcaline que sous forme
de cendre sèche, sans adjonction d'eau. Si un kvevri récemment lavé est resté
vide pendant un certain temps, il convient de saupoudrer la surface intérieure
de cendre fine tamisée alors que les parois de ce dernier sont encore humides.
Les particules de cendre se colleront à la paroi et le kvevri séchera en
l'état. Ceci est un moyen très efficace pour prévenir le développement dans le kvevri
de micro-organismes nuisibles, notamment dans les pores de la paroi. Il est
vrai qu'après un tel traitement, le lavage de kvevri demande davantage
d'efforts, mais ceci se justifie pour une meilleure protection des parois de la
jarre vinaire.
Lavage du kvevri
En ce qui concerne la désinfection des parois intérieures du
kvevri vide, elle se fait par traitement au soufre, que l'on y brûle à raison
de 3 grammes par hectolitre. Notons que, en cas de dépassement de ce dosage de
deux à trois fois, aucun effet malsain n'est à craindre. De même, on peut
soufrer les kvevri lorsque la cendre y est versée. Le soufre est disponible sous
forme de poudre ou de mèches à brûler. Pendant leur usage, dans les deux cas,
il faut éviter que des gouttes de soufre fondu ne tombent dans la jarre lors de
la combustion, ceci pouvant donner au vin une odeur et un goût désagréables
d'hydrogène sulfuré. Le traitement au soufre est possible juste avant de verser
le vin dans le kvevri ou plus tôt, lorsque ce dernier est vide, par exemple une
fois tous les deux mois. Avant d'introduire dans le kvevri la drêche et le
moût, il faut avoir préalablement lavé puis soufré la jarre, car le versement
de vin dans un Qvevri non-lavé est inadmissible ! Le soufre doit être enduit
dans une jarre vinaire récemment lavée, alors que ses parois intérieures sont
encore humides. La fumée de soufre brûlé réagit avec l'humidité résiduelle, ce
qui produit de l'acide sulfurique qui pénètre dans les pores de la paroi où la
crasse s'est incrustée et les désinfecte. Le traitement au soufre peut être
également effectué dans des kvevri lavés et séchés quelques jours avant leur
remplissage de vin ou de moût. Cependant, le nettoyage est moins efficace que
lorsque le soufrage a été réalisé dans des kvevri récemment lavés. Si, après le
lavage, le kvevri reste vide un certain temps, le soufrage ne doit être
effectué qu'une fois la jarre sèche, sinon la fumée de soufre réagissant avec
les gouttes d'eau, se cristallisera en couche blanche et jaunâtre sur les
parois intérieures. Cela peut rendre le vin amer et par conséquent lui donner
un goût grossier.
d'après Vinification en qvevri (Tbilissi, 2017).
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