Le chai géorgien - un lieu sacré

Pendant plusieurs siècles, en Géorgie, le chai [marani - მარანი] était un lieu à plusieurs usages: un lieu de vinification, de stockage et de vieillissement de vin, et un lieu de culte. 

Je vous propose un petit voyage dans le chai à Samégrélo (aussi appelé Mingrélie) - une des régions vinicoles de Géorgie de l'Ouest.

Giuseppe Maria Zampi, missionnaire de l'Ordre des Théatins, installé en Géorgie au XVIIe siècle, dans son récit cite le chai mingrélien parmi les différents types d'églises géorgiennes qu'il avait l'occasion de visiter. Zampi précise que les prêtres géorgiens baptisent les enfants et célèbrent les noces dans le chai ; d'après le même auteur, dans le marani, les prêtres "vont quelquefois célébrer, pour être plus enflammez de l'amour Divin."

Cette tradition de marani sacré a perduré à Samégrélo jusqu'à l'époque assez récente. Au XXe siècle, on pouvait encore apercevoir dans un chai un coin dédié à des kvevris sacrés - cet endroit portait le nom de Okhvaméri [ოხვამერი]. Sur le dessin on voit la reconstruction d'un tel emplacement, où le maitre de la maison apporte un plateau d'offrande et fait une prière en allumant des cierges.

 


1. Le premier kvevri nommé Samgario [სამგარიო] était dédié au maitre de la maison et à son fils ainé. Le kvevri "se libérait" uniquement après le décès de la personne à qui ce kvevri a été dédié. Si à la naissance d'un fils il n'y avait plus de kvevri disponible dans le marani, la famille se voyait obligé d'en acheter au nom du nouveau-né. 

2. Le kvevri nommé Samghvto-saokhoro [სამხვთო-საოხორო] était dédié au Dieu tout-puissant. Il ne quittait jamais le marani. En cas de départ, chaque membre de la famille avait droit d'emporter avec lui son kvevri afin de l'enterrer dans son nouveau chai, près de sa nouvelle maison. Seulement ce kvevri restait dans la maison parentale et devant lui, tous les ans, un jour précis, tous les membres de la famille se réunissaient pour une prière.

3. Sacodinaro [საოცოდინარო] - on ouvrait ce kvevri lors de la fête de Pâques. Après avoir préparé un repas un cochon de lait rôti ou un poisson et des galettes au fromage, on touait un coq près de ce kvevri en laissant tomber quelques gouttes de son sang dans le vin. Ensuite, ce vin a été consommé lors de repas.

4. Le rituel de Chkvitoul [შქვითულ] avait lieu le dernier lundi de mois d'octobre. Il s'agissait d'une fête de la récolte. Le paysan tuait 7 différents animaux : un cochon, un mouton, un veau, un coq, un canard, un chèvre et un poisson. On préparait des galettes de blé et de mais. Avant le repas, le maitre de la maison, accompagné par les invités, entrait dans le chai avec un plateau rempli d'offrandes et allumait les cierges près de kvevri pour une prière. Ensuite on ouvrait ce kvevri afin de consommer le vin lors de repas. 

5. On ouvrait le kvevri nommé Satshatckhouré [საწაჩხურე] un jeudi de mois de mai ; on préparait un cochon de lait ou un mouton, un coque, des galettes et on portait le repas près de kvevri ; en tournant 3 fois le plateau de repas autour du kvevri le maitre et la maitresse de maison prononçaient une prière et allumaient les cierges. A la fin de rituel, on ouvrait le kvevri et consommait le vin lors de repas. Ensuite, un membre de la famille portait une partie de repas et du vin à l'église de Tsachkhouri [წაჩხური].

6. Sadabado [სადაბადო] était un kvevri dédié à la maitresse de la maison et c'est elle qui s'en occupait,  faisait sa prière auprès de ce kvevri pour demander au Dieu la santé et longue vie de son mari et ses enfants.

Aujourd'hui, ces rituels sont disparus, mais le marani garde toujours son importance dans chaque famille géorgienne.

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